La direction des fils est ce qui différencie à la première analyse un tissage d’un tressage. Quels que soient les dessins produits, l’un a une structure verticale-horizontale, l’autre a une structure oblique.. Les recherches de Françoise Pelenc la conduisent, alors que sa formation est fortement ancrée dans le tissage, vers les techniques du tressage pour aboutir à des productions qui font toujours apparaître ces caractéristiques obliques.
Depuis les premiers travaux de tresses inspirées des coiffures africaines, on peut suivre ce parcours qui s’adonne aux possibilités linéaires du losange plutôt qu’à celle du carré. Cette forme géométrique a la propriété de contenir la stabilité du quadrilatère parfait tout en permettant de plus grandes ouvertures formelles : les cotés sont égaux mais tracent des lignes aux orientations multiples et variées. Leur direction s’oppose à l’orthogonalité verticale-horizontale et explique sans doute aussi la résistance à encadrer chaque travail : coincée dans une structure stabilisante, la valeur de liberté qu’apporte l’oblique n’est plus qu’une richesse emprisonnée.
Pour une plus évidente appréhension de cette lutte menée entre les deux formes, nous nous arrêterons plus loin aux “entrelacs sur tresses” qui proposent de complexes combinaisons.
Françoise insiste pour dire que ses recherches de techniques, à partir de traditions artisanales, ont beaucoup plus pour but de trouver une inspiration formelle qu’une référence ethnologique. Elle y trouve en fait un appui qui certifie une structure déjà existante en elle.
Elle y trouve également matière à réfléchir sur la couleur. Car une caractéristique de taille est inhérente au tissage comme au tressage : le dessin du tissu est donné, d’une part par la croisure, d’autre part par le choix des teintures des fils et l’emplacement de ceux-ci. Dans les derniers travaux de Françoise, les fils sont peints. Alors, comme en peinture, la surface recule pour privilégier la matière colorée.
Les gerbes de tressage avec plumes portent la parure en leur extrémité. Les tresses de lin suspendent ces étranges objets, à la fois matière, à la fois couleur, que sont les plumes sur lesquelles Française portera, pour les dernières, en les peignant, sa propre marque de séduction : l’enjeu étant bien dans ce conflit du brut et du simulacre.
Dans les “entrelacs sur tresses”, l’attention portée à la sensibilité de la matière est toute concentrée dans le choix des fils. La rayonne détient la brillance et l’apparence, le lin la matière de l’œuvre. La couleur indispensable pour pointer les structures du tressage est pure et unique. Le conflit de la forme est ici balancé d’une étape à l’autre.
Tressés en diagonale, les bandes sont assemblées verticalement pour constituer un tissu. Celui-ci est suspendu incliné afin de dessiner des plis verticaux qui cassent la platitude et contredisent l’orthogonalité de la pièce. En allant au plus loin de la finesse qui lui est chère dans ces pièces, Françoise a été au plus profond du conflit de la couleur dans le tressage qui ne peut être décor sans être à la fois marque de la structure.
Pour échapper à cette complexité, à cette opposition losange carré, les “arcs” sont une ouverture. Une plus grande liberté émane de leur simplicité même de fabrication. Par la rapidité d’exécution, ils réduisent volontairement le problème, à la fois directionnel et coloré, à une tension et quelques fibres teintes. Les plus beaux sont les plus purs. Comme toujours, la couleur renforce la structure et s’oppose au bois clair, souple et dur. Une nouvelle matière brute est expérimentée.
Une autre la suivra, toujours fibreuse, le papier craft. Et là encore, recherche de propriétés : le pastel couleur en poudre, expose le grain du papier, en joue dans la trace. Le passage par le papier permet à la couleur de ne plus être tributaire du matériau dans la constitution du dessin. Françoise mêle les tons et joue à faire apparaître et disparaître la couleur à l’aide de pliages. Ces bandes qui s’enroulent autour de deux fils pour former de nouvelles tresses proposent encore des diagonales en petits traits ponctuant l’espace ou en losanges, ouvertures qui découvrent un autre papier support.
Par cette expérience, la peinture s’affermit. Elle envahit les travaux suivants. Les fils de lin eux-mêmes sont peints au cours d’une manipulation durant laquelle ils sont tressés et détressés. Leur matière mate s’efface au profit de l’intensité colorée. “Les traces bleues sur entrelacs” déploient un détressage vertical. Chaque composant, support (carré en tarlatane), tressage, peinture, s’exposent ici avec rigueur dans des pièces atteignant des formats qui, pour la première fois, dépassent la hauteur humaine. Ce sont des œuvres plus froides qui affirment un détachement aux références ethnologiques.
Dans le même temps, les “49 petits bâtons” reprennent le travail du bois. Ici aussi, le tissu (toile de peintre carrée) n’est plus que support de ces accents symboliquement organisés, maintenus par la couleur. Le lin traverse de part et d’autre le tissu, saute par dessus les bâtonnets et finit en tresses peintes de chaque coté de ce jeu de mikado.
Pour conclure sur la patience, la méticulosité de l’approche. Chaque étape de ce travail de plurieurs années projette en avant un des facteurs qui traversent la création textile en général. Abordé avec les techniques les plus primitives, chacun d’eux se répète, se combine aux autres en propositions qui conservent, quelle que soit la matière employée, un cadre formel personnel et rigoureux.
Nadia Prete.
Catalogue de l’exposition personnelle au Cloître des Capucins, Aarschot, Belgique, 1988